Les Tunisiens sont de moins en moins satisfaits de la démocratie. C’est ce qui ressort globalement des résultats d de la troisième vague de l’Afrobaromètre sur «la démocratie et la gouvernance en Tunisie».
Il s’agit d’un sondage d’opinion réalisé par l’institut de sondage One to One for Research and Polling sur un échantillon représentatif de la population de 1.200 personnes de 18 ans et plus des 24 gouvernorats, pendant la période du 1er avril au 5 mai, juste avant les élections municipales.
La proportion des Tunisiens qui affirment que le pays «n’est pas une démocratie» a doublé depuis 2015. Le soutien populaire à la démocratie plutôt que tout autre système politique est toujours sur le déclin, chutant à 46% de 71% en 2013. Ceci dit, 51% se disent contre le parti politique unique, 61% contre la dictature et 46% contre le régime militaire. 51% des Tunisiens ne sont «pas très satisfaits» ou «pas du tout satisfaits» du fonctionnement de la démocratie dans leur pays.
L’enquête révèle également que les Tunisiens ont une perception négative de la situation économique nationale et restent largement critiques dans leurs appréciations des efforts du gouvernement tendant à résoudre les trois problèmes prioritaires (l’économie, le chômage et lutte contre la corruption). En effet, 79% des Tunisiens affirment que le pays se dirige dans «la mauvaise direction». 72% estiment la situation économique du pays de «plutôt mauvaise» ou «très mauvaise».
La majorité des sondés soutiennent les élections régulières, libres, et transparentes (64%) même si une grande partie a montré peu d’intérêt aux dernières élections municipales, avec une confiance populaire envers la commission électorale sur le déclin. 57% des répondants ont, ainsi, affirmé qu’ils n’étaient «pas du tout intéressé» ou «pas vraiment intéressé» aux dernières élections municipales, et 84% ont affirmé qu’ils n’avaient que peu ou pas d’informations relatives à ces élections.
Pour commenter ces résultats, l’institut de sondage a invité Lamia Zargouni Lassoued (ancienne membre de l’ISIE), Rafik Halouani (Mourakiboun), Dalila Msaddek Ben Mbarek (Avocate et chroniqueuse médias) et Youssef Cherif (Analyste politique).
Mme Zargouni Lassoued a estimé que le retard dans la sélection des membres sortants de l’Isie a eu un impact négatif sur les élections, notamment en ce qui concerne la campagne électorale qui n’a pas su capter les Tunisiens.
Pour sa part, Rafik Halouani pense que l’Isie a commencé tard ses activités, le résultat est une campagne sans saveur. S’agissant des raisons de l’abstentionnisme, il considère que les Tunisiens, notamment les jeunes et les femmes, ne croient plus en la démocratie et dans les élections. Il a aussi évoqué les restrictions et les pressions faites sur la presse et sur les associations, d’une manière «très sournoise et des doses homéopathiques».
M.Halouani estime donc que les gens n’ont plu ni l’espoir, ni la confiance. Ce qui représente selon lui l’échec de l’Isie, de l’Etat, des partis politiques et de la société civile. Avec 20% de votants, on a réussi à éloigner le peuple de l’affaire publique, un constat assez grave, note-t-il. Il a fustigé ceux qui parlent de report des prochaines élections, en affirmant que c’est un signe très négatif et carrément «une proposition indécente».
Dalila Msaddek Ben Mbarek a mis en relief la contradiction de certains résultats et s’est interrogée si les Tunisiens comprennent la définition de démocratie. Pour elle, il y a une confusion entre la manière de gouverner et le régime, en soulignant que les Tunisiens n’ont pas confiance dans leurs gouvernants. S’agissant des 22% qui pensent que les non musulmans ne doivent pas avoir les mêmes droits que les musulmans, elle a indiqué que dans toutes les démocraties, il y a des groupes extrémistes comme le Front national qui se dit contre les étrangers, ce qui témoigne de la différence des opinions. Par contre, ce qui est grave pour elle, c’est que les lois tunisiennes (Constitution et CSP) et le système judicaire tunisien consacrent cette différenciation.
Youssef Cherif a estimé que la Tunisien se positionne mieux que d’autres pays, sachant que jusqu’à 2011, nous étions coupés des affaires publiques. S’agissant l’impopularité de la démocratie, il a indiqué que même aux Etats-Unis après l’élection de Trump, les gens se sont sentis lésés.
Afrobaromètre est un réseau de recherche panafricain indépendant qui conduit des enquêtes sur les attitudes du public envers la démocratie, la gouvernance, les conditions économiques, et des questions connexes dans les pays d’Afrique. Six rounds d’enquêtes ont été conduits dans 37 pays entre 1999 et 2015, et les enquêtes au titre du Round 7 s’achèvent en 2018. Afrobaromètre réalise des entretiens face-à-face dans la langue choisie par le répondant avec des échantillons représentatifs nationaux.